Samedi 22 mars
Je chevauche mes pensées
Je les ferre moi-même
Je leur passe entre les dents le mors qui rend docile
Je les monte à crû à même le crin je dispense mon bon vouloir
Je les serre entre mes impérieux genoux
Je les dresse de mes mains
Je chevauche mon esprit
Je lui ordonne d’aller ici et là
Je le flagelle je l’éperonne je le cravache
Ce que je veux
Mais la pensée me jette à terre et les idées dévastent la volonté concentrée dans mon bras
Le cheval de la pensée est fou d’une peur qui le rend libre et terrible
Il bondit par-dessus la vieille clôture
Il franchit le cours d’eau
Enragé l’esprit lancé au grand galop ravage les cultures
Il entre dans la forêt et la défigure
Ses sabots de corne lacèrent le torse de la terre
De son cri, il envoûte les sous-bois anciens
Les bosquets les touffes d’herbe la frondaison les arbrisseaux et les chênes antiques
Les bourgeons les racines tordues le vent pris dans les branches
L’esprit entre partout semant un désordre impensable
Il ne répond plus quand on l’appelle
Il a perdu son nom
Il est devenu parmi les fantômes un indiscernable esprit
Le lieu qu’il occupe révulse sa présence
Et mon corps gît béant aux vents de sa folie